Monastère des dominicaines de Lourdes

 

Le Crucifiement et la mort du Seigneur

Lecture

Venus au lieu nommé Golgotha, — c’est le lieu nommé « du crâne » — ils lui donnèrent à boire du vin mêlé de fiel ; et l’ayant goûté, il ne voulut pas boire. L’ayant crucifié, ils se partagèrent ses vêtements, qu’ils tirèrent au sort, et s’étant assis ils le gardaient. Et ils placèrent au-dessus de sa tête le motif de sa condamnation, par écrit : Celui-ci est Jésus, le roi des Juifs. […] Et ceux qui passaient l’injuriaient en branlant la tête, et disaient : « Toi qui prétends détruire le Temple et le rebâtir en trois jours, sauve-toi toi-même ; si tu es fils de Dieu, alors descends de la croix ! » De même aussi les princes des prêtres se jouaient de lui avec les scribes et les anciens, disant : « Il a sauvé les autres, il ne peut se sauver lui-même. Il est roi d’Israël, qu’il descende maintenant de la croix et nous croirons en lui. Il a mis sa confiance en Dieu, qu’il le sauve maintenant s’il tient à lui ; car il a dit : De Dieu, je suis Fils. » De la même façon, les larrons qui étaient crucifiés en même temps que lui l’outrageaient aussi. Vers la neuvième heure, Jésus clama d’une voix forte : Eli, Eli, lema sabachtani ?, c’est-à-dire : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » […] Jésus, ayant de nouveau crié d’une voix forte, rendit l’esprit (Mt 27, 33-50).


Méditation

Le lieu de la condamnation

Jésus est conduit en dehors de la ville, hors des portes, au Golgotha, petit mont où l’on tranchait la tête des condamnés. De là vient son nom : « lieu du crâne », ce qui a donné « Calvaire », c’est-à-dire la place des décapités. C’est là que le Seigneur fut crucifié pour que « l’étendard dressé à la face des nations » (Jr 51, 27) soit placé à l’endroit où, jusque là, se trouvait l’aire des condamnés. Il est crucifié comme un coupable parmi les coupables, il s’est fait malédiction de la croix (Ga 3, 13), pour le salut de tous.

Le crucifiement

Sur la croix, Jésus touche au plus profond de l’humilité, de la mortification des sens, de l’amour.

Humilité jusqu’à la mort

Arrivé au lieu d’exécution, Jésus est crucifié, nu : ses vêtements seront tirés au sort peu après ; toutes ses plaies sont exposées au soleil et aux insectes. C’est ce Christ-là que Dominique a voulu suivre, le Christ humilié et humble. « Nu, tu as suivi le Christ nu », dit Jourdain de Saxe dans sa prière à Dominique.
Le dépouillement extérieur de Jésus est un signe de son dépouillement intérieur : il s’est vidé de lui-même ; « s’étant comporté comme un homme, il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort et à la mort sur une croix ! » (Ph 2, 8). Jésus s’humilie ; dans une parfaite obéissance, il se met totalement sous la Parole du Père, pour mener à son achèvement son dessein bienveillant à notre égard.
L’humilité est une attitude bien difficile à décrire. Elle est faite d’abaissement comme l’indique son étymologie : humus. Mais il ne s’agit pas d’un abaissement imposé de l’extérieur qui engendrerait de la révolte dans le cœur. L’humilité trouve sa joie dans l’humiliation. L’humilité va aussi de pair avec l’obéissance. On comprend qu’elle soit la marque en notre vie de la croix de Jésus, la marque distinctive du véritable disciple.

La mortification des sens

Sur la croix, Jésus souffre dans tout son corps. « Ses pieds et ses mains sont transpercés de clous acérés. Ses yeux sont obscurcis par le sang et fermés par l'enflure des paupières et les contusions livides que les coups de ses bourreaux ont causées. Sa bouche est remplie de vinaigre et de fiel. Sa tête est ceinte des épines aiguës. Son Cœur est percé par la lance. C'est ainsi que tous ses sens sont mortifiés et crucifiés, afin de faire réparation, pour toute espèce de péchés humains  ».
L’attitude de Jésus peut paraître incompréhensible aujourd’hui. Pourquoi mortifier ses sens alors que, de partout, arrivent des sollicitations pour les « éveiller », pour jouir ? Pourtant, comment éveiller son cœur, sans mortifier ses sens ? Il est vrai que la mortification des sens a quelque parenté avec une mort… qui ressemble justement à la crucifixion de Jésus. Ce n’est pas sans raison que saint Paul exhortait à mortifier les membres terrestres (Col 3, 5).

Le sang est feu

Jésus aima les siens jusqu’à la fin (cf. Jn 13, 1) nous rapporte saint Jean. Matthieu dit simplement que Jésus a été crucifié. Pas un mot sur la charité qui remplissait son cœur sur la croix ; seulement un signe : le signe de la vie donnée, le signe du sang versé. Et ce signe dit l’amour mieux que tous les discours.
Ce signe parle de l’amour en silence : il est « le livre de la charité ». Les saints de tous les temps ne s’y sont pas trompés. Ce n’est pas un hasard si saint Dominique en prière est représenté devant un Christ en croix, contemplant le sang qui coule de ses plaies.
Le sang de Jésus nous purifie, nous nourrit, nous éclaire. Nous sommes plongés dans son sang par le baptême : il est un feu qui purifie ; nous le buvons dans l’eucharistie : il est un feu qui embrase les cœurs de la chaleur de l’amour même de Dieu, qui les unit les uns aux autres ; nous lavons en lui notre cœur dans le sacrement de la réconciliation : il est un feu qui brûle notre péché, illumine nos yeux et les ouvre sur le Mystère de Dieu, sur notre mystère.
Le sang du Christ présente une étrange relation avec le Saint-Esprit. Ne serait-il pas le « canal » par lequel celui-ci nous parvient ?

Motif de la condamnation de Jésus

Le crime de Jésus est indiqué sur le titulus — nom donné à l’inscription placée sur la croix — : il s’est ditle Roi des juifs. Il s’agit d’un crime de lèse-majesté qui était puni de mort, depuis l’arrêt d’Auguste porté en l’an 8 avant notre ère. Jésus avait bien précisé qu’il fallait rendre à César ce qui était à César (Mt 22, 21), que son royaume n’était pas de ce monde (Jn 18, 26), mais ceux qui veulent sa perte ont retenu de ses paroles la seule affirmation de sa royauté. C’est du mensonge ! Or le mensonge a pour père le diable qui « est menteur et père du mensonge » et « homicide dès l’origine » (Jn 8, 44). Le diable dit faux tout en disant vrai… apparemment. Il a l’art de déformer la réalité pour tromper et obtenir ainsi un consentement.

Les injures des passants

Les injures des soldats s’étaient abattues sur Jésus. Elles tombent à nouveau sur lui, venant de tous côtés : de la part des passants, des prêtres, et même des larrons crucifiés avec lui. Ces injures répondent, comme en écho, aux tentations de Satan dans le désert. D’un côté : « Si tu es Fils de Dieu »…, change les pierres en pain (Mt 4, 3), jette-toi du pinacle du Temple (Mt 4, 6). De l’autre : « Si tu es fils de Dieu », descends de la croix.
« Fils de Dieu », « Roi d’Israël », sont compris comme un pouvoir qui donne une toute-puissance hors du commun : si Jésus est aussi puissant qu’il le dit, capable de détruire le Temple et de le relever en trois jours, comment se fait-il qu’il ne puisse pas se sauver lui-même ? Il a été capable de ressusciter des morts, mais tout à coup sa puissance a disparu : il est un bien piètre thaumaturge. Qu’il relève le défi ! Qu’il se sauve lui-même !
Une toute-puissance qui trouve sa source en soi ; Dieu mis à notre service : voilà ce qui attire l’admiration des foules ! Vingt siècles après, ce sont encore les mêmes injures qui sont lancées à Jésus : peux-tu, par ton pouvoir de guérison, nous donner un mieux-être et un plus-être ? faire reculer nos limites ? nous guérir de toutes nos blessures ? faire disparaître toutes nos souffrances ? Alors nous croirons en toi. Mais Jésus répond, encore aujourd’hui, par le signe silencieux de la croix. Il n’est pas un magicien. Il est venu faire la volonté du Père, nous conduire sur un chemin de liberté qui assume la souffrance.
Les titres de Jésus, aux yeux de ceux qui les prononcent, devraient lui donner un droit sur Dieu. Qui est son Père, qui le laisse mourir et ne fait rien pour lui ? — Nous dirions : A quoi bon avoir la foi, si Dieu nous laisse dans nos difficultés ? — C’est la nature du lien de Jésus avec son Père qui est mis en cause. Mais Jésus ne répond pas. Sa réponse, il l’a donnée à Satan : « Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu » (Mt 4, 7). Il n’a rien à ajouter.

L’Ecriture est accomplie

On fixait une planche sur le poteau de la croix, pour que le crucifié soit assis : on ralentissait ainsi le blocage de la cage thoracique qui aurait rapidement provoqué une mort par asphyxie. Jésus a donc dû faire un grand effort pour parler d’une voix forte, par deux fois.
Matthieu nous donne le contenu de sa première clameur : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » C’est le premier verset d’un psaume (Ps 21, 2) où un juste persécuté expose à Dieu sa souffrance dans une longue complainte ; mais au cœur même de sa détresse, il a la certitude que Dieu lui accordera le salut (Ps 21, 23-30). La dernière prière de Jésus, au paroxysme de la souffrance, est un cri de confiance vers son Père : il l’appelle « Mon Dieu ». Il ne faudrait pas croire que le Seigneur se croit abandonné par le Père. « Pourquoi m’as-tu abandonné ? » continue la prière de l’agonie : «S’il est possible, que ce calice passe loin de moi ». Jésus sait que si Dieu l’a abandonné aux mains de ses ennemis, c’est pour accomplir son dessein de salut, de vie. Mais il est totalement homme, et la question du psalmiste dans sa détresse, est aussi la sienne. Pourquoi a-t-il fallu que le Fils soit livré aux mains des hommes, pour leur communiquer la vie divine ? Comme à Job, Dieu ne répond pas. C’est le mystère de la mise à mort du juste.
Quelques instants plus tard, juste avant de mourir, Jésus a de nouveau crié d’une voix forte. Probablement a-t-il terminé le verset commencé : « Loin de me sauver, les paroles que je rugis ». Les autorités religieuses l’avaient d’ailleurs raillé peu auparavant en faisant appel à ce même psaume : « Il s’est remis au Seigneur, qu’il le délivre ! qu’il le libère, puisqu’il est son ami ! » (Ps 21, 9), amalgamé à un autre verset d’Ecriture : « Si le juste est fils de Dieu, Il l’assistera et le délivrera des mains de ses adversaires » (Sg 2, 18). Jésus, par sa prière, semble leur donner raison : le Père ne vient pas à son secours.
Mais ne fallait-il pas que les prophéties soient accomplies (cf. Jn 19, 30) ? Jésus a mené à bien la mission que le Père lui avait confiée. Livré aux mains des pécheurs, il se livre, dans un total abandon, à la volonté du Père ; il lui remet son esprit. La Vie semble engloutie par la mort… mais elle va jaillir de la mort même.

 

Prière

Par l’intercession de Marie, Avocate des opprimés, prions pour tous les condamnés à mort, pour ceux qui subissent des tortures.

 

Contemplation

Réjouis-toi, Marie, comblée de grâce,
le Seigneur est avec toi,
tu es bénie entre toutes les femmes
et béni le fruit de ton sein,
Jésus,
- humilié jusqu’à la mort de la croix
- étendard dressé à la face des nations
- raillé par les passants et les autorités religieuses
- qui terrasse, par son silence, le père du mensonge
- qui nous guérit par ses blessures
- qui répare nos péchés, par ses mains et ses pieds transpercés
- dont le sang nous donne le pardon et la vie
- abandonné aux mains des pécheurs par le Père
- dont la dernière parole fut une prière à son Père
- qui remet son esprit entre les mains du Père
Sainte Marie, Mère de Dieu,
prie pour nous, pauvres pécheurs,
maintenant et à l’heure de notre mort
AMEN.


Newman, Chemin de Croix, Onzième station.

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